4 sept. 2010

Crépuscule irlandais - O BRIEN EDNA - Sabine Wespieser


Crépuscule irlandais ( The light of evening)
Edna O'Brien
Traducteur : Pierre-Emmanuel Dauzat
Sabine Wespieser - 09/10 - 445 pages - 24 euros


« La lamentation des mères »

Edna O’Brien est un auteur irlandais réputé pour ses romans qui parlent de son pays natal avec un ton résolument moderne et anticonformiste. Dans ce livre elle nous dévoile le secret si bien gardée des mères de son pays : le poids de la tradition en lutte contre leurs passés aux couleurs plus vives.

Tout commence par un prologue magnifique qui évoque « la soirée esseulée des mères qui disent que ce n’est pas notre faute si nous pleurons, c’est la faute de la nature, qui nous a faites d’abord pleines, puis vides. Tel est le courroux des mères(…) qui n’en finit pas jusqu’au dernier jour(…) au crépuscule et à la poussière des mortels. »
Il s’agit donc bien d’un livre sur cet amour si complexe, si fort et à la fois si étouffant : l’amour maternel.

Il est encore plus complexe dans un pays comme l’Irlande où le destin des femmes est resté si longtemps sous le joug combiné de la tradition et de la morale. Ici tout part du domaine de Rusheen où Dilly, âgée de 77 ans, emballe ses affaires pour partir en maison de soin afin de se faire soigner d’une maladie qui sera sans doute la dernière. En mettant de côté ses objets auxquels elle tient elle se remémore sa vie passée, sa fille Eleanora si vite partie pour écrire des livres qui font d’elle une paria dans son pays natal, et Cornélius son mari si dépendant d’elle.
Une fois internée à l’hôpital ses souvenirs tourneront surtout autour de cet épisode qu’elle chérit plus que tout : son séjour de plusieurs mois à New-York lorsqu’elle était encore une jeune femme. Et surtout elle pense à Gabriel, ce premier amour qui l’a fait souffrir si cruellement après des mois de frustrations qui avaient fini par briser en mille morceaux son rêve américain. L’amertume de trop qui la fera rentrer au pays pour lui faire épouser le premier garçon qui l’invitera à danser, et fera d’elle un autre des maillons de la chaîne de traditions qui entoure les femmes irlandaises.
Mais comme elle le dit « On a été élevées au Moyen-âge », et son éducation reprendra le dessus pour lui servir de modèle quand viendra son tour d’être mère. Eleanora passera sa vie d’adulte à fuir ce carcan transmis par sa mère. Et même sachant Dilly hospitalisée elle ne lui fera qu’une courte visite, pressée qu’elle est de retrouver un amant, tellement dans l’urgence qu’elle fera tomber de son sac son journal intime. Il constituera une sorte de lien profond et secret entre la mère et la fille depuis si longtemps éloignées.

Un roman troublant et magnifique écrit par cet auteur si important pour la condition de la femme en Irlande, faisant partie du mouvement intellectuel du révisionnisme culturel qui a contribué à ce que les irlandais portent un regard critique sur le nationalisme dans leur pays. Ses livres furent longtemps interdits en Irlande, mais elle est depuis toujours soutenue par son lectorat américain qui a toujours aimé son style si puissamment évocateur qui lui vaut d’être surnommée la Colette anglophone.

article paru dans PAGE n°139, septembre 2010

2 commentaires:

liceal a dit…

Lu et adoré!!!

Claire C. a dit…

Oui c'est un beau livre, très poignant. Une lecture qui marque.