17 sept. 2010

Un bûcher sous la neige - FLETCHER SUSAN - Plon


Un bûcher sous la neige ( Corrag )
Susan Fletcher
Traduction : Suzanne Mayoux
Plon - collection Feux croisés - 08/10 - 400 pages - 22 euros

Une liberté qui enflamme.

L'Angleterre du XVIIe siècle est en plein cœur des luttes de pouvoirs en cours depuis le décès de la grande reine Elisabeth.
Jacques II, fils de Marie Stuart, a été renversé du trône par Guillaume III d'Orange. Réfugié en France, il attend son heure en comptant sur ses alliés jacobites qui espionnent sur l'île les malversations menées contre son camp par son adversaire.
Une des plus sordide est le massacre de Glencoe, où un clan entier de Highlanders furent assassinés par des soldats qu'ils avaient accueilli selon les règles de l'hospitalité écossaise.
A ces destinées funestes vient se mêler celui d'une jeune anglaise : Corrag.
Elle va devenir un témoin gênant pour les investigateurs du massacre, mais son profil de femme libre et indépendante fait d'elle une candidate idéale à une condamnation rapide au bûcher pour sorcellerie.
Mais Corrag sait, grâce à une prédiction qu'on lui a faite, qu'un homme est en route pour l'entendre et l'écouter dans la solitude crasse de son cachot. Et cet homme se nomme Charles Leslie, tout du moins est-ce ainsi que le nomme ses alliés jacobites. Il est en mission secrète pour établir la vérité sur le massacre.
Pour ce faire il doit rencontrer Corrag. Mais pour ce fervent catholique il est difficile au début de leurs entretiens d'écouter les tergiversations de cette femme impie. Mais Corrag, sentant sa fin proche, tient à laisser une trace et pour ce faire elle va raconter son histoire à elle, et depuis le début.

Une rafale de vent revigorant va s'engouffrer dans vos jupes et dans vos chausses!
Un grand roman magnifique où la nature est sublimée par le récit à la fois simple et très profond de cette jeune femme sans Dieu, ni maître qui a la liberté comme seul mot d'ordre.
La construction du roman se fait sur la succession des monologues de Corrag, qui ont tous un intitulé de plante accompagné des vertus médicales de celle-ci, avec les lettres que Charles Leslie envoie à sa femme restée en Irlande. Il lui raconte son difficile parcours d'espion jacobite et l'évolution de son regard sur cette femme si atypique pour lui et ses contemporains.
On en ressort avec un supplément d'âme laissé par cette femme libre et si belle dans son combat pour la liberté d'être elle-même.


Un extrait et la présentation de l'éditeur sur le choixdeslibraires.com
Côté Blogs : Yspaddaden aime; Marie est fan; Cathulu me fait dire qu'il ne faut pas avoir peur du côté historique; Liliba a adoré

4 sept. 2010

La huitième vibration - LUCARELLI CARLO - Métailié


La huitième vibration ( L'ottava vibrazione )
Carlo Lucarelli
Traducteur : Serge Quadruppani
Anne-Marie Métailié - collection : Bibliothèque italienne - 08/10 - 413 pages - 22 euros

Dans la chaleur de la défaite

La huitième vibration est un titre énigmatique qui ne se révèle au lecteur qu’à la toute fin du livre. Il est le fidèle reflet de ce roman aux multiples facettes à la fois roman historique, roman policier, récit d’aventure et même roman d’amour. Tout un mélange à juste dose qui nous fait vivre au cœur d’un corps expéditionnaire de l’armée italienne engluée dans ses rêves de colonisation et dans la chaleur étouffante de l’Erythrée de 1896.
Un récit qui vous happe et qui se termine sur le point d’orgue de la bataille d’Adoua qui fut la première remportée par une armée de colonisés sur une armée de colonisateurs.
Une immersion totale au côté de multiples protagonistes qui nous font vivre chacun leurs histoires, leurs accents, leurs langues et leurs cultures. Tels que Vittorio Cappa dit « le magicien »qui sait mieux que quiconque se débrouiller pour oublier de réceptionner des fournitures de l’armée italienne arrivant en Afrique. Mais qui surtout fera l’erreur de tomber amoureux de la mauvaise femme. Ou encore Pasolini l’anarchiste qui se retrouve dans l’armée pour ne pas finir sur l’échafaud, et qui une fois au front devra faire le choix de tirer ou non pour sauver sa vie, et donc défendre les couleurs de ce drapeau qu’il n’a jamais respecté. On y croise aussi Aïcha, la chienne noire mi-sorcière mi-putain, dégageant un érotisme si puissant que peu de soldats savent lui résister. Et enfin Sciortino, le soldat fantôme, originairement berger dans les Abruzzes, un simple d’esprit ne comprenant pas les tenants et les aboutissants de toute cette agitation dans le désert mais qui sera un des seuls à sortir indemne de ce cauchemar.

Un livre puissant à la construction très intelligente menée de main de maître par une star italienne du roman policier, qui est également scénariste de bandes dessinées ou encore journaliste. Carlo Lucarelli est même dans son pays l’animateur à succès d’une émission de télévision qui parle de crimes non résolus. C'est une véritable star de l'autre côté des Alpes. Il nous livre là un grand roman que vous n’oublierez pas de sitôt, servi par la traduction impeccable du directeur de la collection : Serge Quadruppani.

article paru dans PAGE n°139, septembre 2010

Crépuscule irlandais - O BRIEN EDNA - Sabine Wespieser


Crépuscule irlandais ( The light of evening)
Edna O'Brien
Traducteur : Pierre-Emmanuel Dauzat
Sabine Wespieser - 09/10 - 445 pages - 24 euros


« La lamentation des mères »

Edna O’Brien est un auteur irlandais réputé pour ses romans qui parlent de son pays natal avec un ton résolument moderne et anticonformiste. Dans ce livre elle nous dévoile le secret si bien gardée des mères de son pays : le poids de la tradition en lutte contre leurs passés aux couleurs plus vives.

Tout commence par un prologue magnifique qui évoque « la soirée esseulée des mères qui disent que ce n’est pas notre faute si nous pleurons, c’est la faute de la nature, qui nous a faites d’abord pleines, puis vides. Tel est le courroux des mères(…) qui n’en finit pas jusqu’au dernier jour(…) au crépuscule et à la poussière des mortels. »
Il s’agit donc bien d’un livre sur cet amour si complexe, si fort et à la fois si étouffant : l’amour maternel.

Il est encore plus complexe dans un pays comme l’Irlande où le destin des femmes est resté si longtemps sous le joug combiné de la tradition et de la morale. Ici tout part du domaine de Rusheen où Dilly, âgée de 77 ans, emballe ses affaires pour partir en maison de soin afin de se faire soigner d’une maladie qui sera sans doute la dernière. En mettant de côté ses objets auxquels elle tient elle se remémore sa vie passée, sa fille Eleanora si vite partie pour écrire des livres qui font d’elle une paria dans son pays natal, et Cornélius son mari si dépendant d’elle.
Une fois internée à l’hôpital ses souvenirs tourneront surtout autour de cet épisode qu’elle chérit plus que tout : son séjour de plusieurs mois à New-York lorsqu’elle était encore une jeune femme. Et surtout elle pense à Gabriel, ce premier amour qui l’a fait souffrir si cruellement après des mois de frustrations qui avaient fini par briser en mille morceaux son rêve américain. L’amertume de trop qui la fera rentrer au pays pour lui faire épouser le premier garçon qui l’invitera à danser, et fera d’elle un autre des maillons de la chaîne de traditions qui entoure les femmes irlandaises.
Mais comme elle le dit « On a été élevées au Moyen-âge », et son éducation reprendra le dessus pour lui servir de modèle quand viendra son tour d’être mère. Eleanora passera sa vie d’adulte à fuir ce carcan transmis par sa mère. Et même sachant Dilly hospitalisée elle ne lui fera qu’une courte visite, pressée qu’elle est de retrouver un amant, tellement dans l’urgence qu’elle fera tomber de son sac son journal intime. Il constituera une sorte de lien profond et secret entre la mère et la fille depuis si longtemps éloignées.

Un roman troublant et magnifique écrit par cet auteur si important pour la condition de la femme en Irlande, faisant partie du mouvement intellectuel du révisionnisme culturel qui a contribué à ce que les irlandais portent un regard critique sur le nationalisme dans leur pays. Ses livres furent longtemps interdits en Irlande, mais elle est depuis toujours soutenue par son lectorat américain qui a toujours aimé son style si puissamment évocateur qui lui vaut d’être surnommée la Colette anglophone.

article paru dans PAGE n°139, septembre 2010

Le délégué - DESBRUGERES DIDIER - Gaïa


Le délégué
Didier Desbrugères
Gaïa- 08/10 - 293 pages - 20 euros


« Renonce au renoncement »

Confronter ses idéaux au principe de réalité est la plus dure des expériences humaines, et plus les espérances sont élevées, plus dure est la chute. S’en relever devient presque impossible, ou alors au prix de grands sacrifices.

Josef Strauber est un homme comblé, il vient tout juste d’être nommé Délégué dans sa chère République. Cette dernière ne sera d’ailleurs jamais nommée tout le long du récit, elle est une et toutes les autres.
Son poste sera effectif dans le comté de Lurna, qui se situe seulement à quelques jours de train de la capitale.
Homme plein de bonne volonté et sûr du bien-fondé de sa tâche, il est impatient de devenir le représentant de cette Administration qu’il chérit tant. Ses pensées sont pures et sa volonté inébranlable, Strauber est certain qu’une fois sur place, tout se passera au mieux et qu’il deviendra un homme respecté, écouté de tous.
Hélas, les rêves de ce pauvre bougre seront vite réduits en poussière une fois confrontés à la réalité : les ors de la République sont ternes, et ce depuis des décennies. Strauber n’est pas attendu, il est redouté.
Écrasé par tant de déceptions et par un voyage interminable, il devra composer avec un destin qui ne lui laissera guère l’occasion de se construire de nouveaux rêves assez solides pour supporter la douleur de ses idéaux perdus.

Didier Desbrugères offre là un premier roman servi par une écriture remarquablement maîtrisée, on se sent tout de suite bien dans ce style faussement classique. Il nous donne l’impression de lire une pépite du XIXe siècle découverte dans un vide-grenier providentiel.

article paru dans PAGE n°139, septembre 2010

Intermittences - LEVI CELIA - Tristram


Intermittences
Célia Lévi
Tristram- 08/10 - 123 pages - 14 euros


La vie d’artiste

Vous pensiez qu’il était facile de vivre d’intermittences ? Que ceux qui en vivent sont surtout des fainéants incapables de trouver un « vrai » travail. Détrompez-vous.
Pour ce faire suivez le parcours chaotique de ce jeune garçon en lisant son journal intime qui nous fait partager une année entière de sa vie. Une année particulière où il va tenter d’obtenir le statut d’intermittent en cumulant les cachets de figuration aidé en cela par quelques contacts dans la profession.
Les raisons profondes de ce désir est qu’il est peintre. Il se sent habité par la création, mais son niveau social l’interdit de ne se consacrer qu’à la peinture. L’intermittence est le seul moyen qui lui semble être compatible avec son ambition artistique. Malheureusement rien ne se passera comme prévu, les cachets ne se trouvent pas si facilement et l’administration va tout faire pour lui mettre des bâtons dans les roues. Chez lui il sera peu aidé par sa petite amie Pauline, jeune femme délurée vivant hors de la réalité. Et c'est elle qui lui ramènera Belzébuth: le chat noir trouvé dans la rue par qui arrivera le déclin.

Une descente aux enfers qui se fait par petites touches, et plus le fond du trou approche plus l’on est mal à l’aise face aux pensées si crues de ce garçon sensible, broyé par la société qui ne sait que faire des artistes tel que lui. Un roman très maîtrisé hanté par les flammes et par le tableau de La folle de Soutine.

article paru dans le PAGE n°139 de septembre 2010